Notre séjour dans les écoles d’application

 

L’École d’application de l’arme blindée cavalerie à Saumur.

« L’école de Saumur ? Ah oui ! Le carrousel et le cheval ! »

C’est ce qui se dit encore. Trop souvent. Sans doute le carrousel déroule-t-il encore ses fastes chaque année fin juillet à l’École d’application de l’arme blindée et de la cavalerie.

Mais ceux qui ne voient en lui que le témoignage d’une tradition surannée se trompent. Il est aussi celui de la modernité à laquelle sont formés dans l’école ceux qui, demain, seront les chefs de l’arme des crises et de l’imprévu.

À Saumur, avec qui et pourquoi ?

Il y eut très tôt des cavaliers à Saumur. A la fin du XVIe siècle, sous Henri IV, y fut créée une académie d’équitation.

C’était le temps où Saumur, place de sûreté remise aux protestants par l’édit de Nantes, rayonnait bien au-delà des frontières, sous l’impulsion énergique de son gouverneur Duplessis Mornay, ami personnel du roi.

Ce fut du reste sa tradition protestante qui valut à Saumur, deux siècles plus tard, d’accueillir la future école de cavalerie. À vous de juger !

En 1763, on cherchait une garnison pour un régiment de carabiniers, ce corps d’élite dénommé « corps royal des carabiniers de Monsieur ». Le comte de Provence, frère du roi, en était en fait le propriétaire. Angers, déjà le siège d’une académie d’équitation renommée, avait d’abord été envisagée…, mais la réputation des carabiniers était suffisante pour que monseigneur Arnaud, alors évêque d’Angers, suggérât que ce régiment ne vint point à Angers mais allât à Saumur. Ainsi ses ouailles angevines seraient préservées, alors que les Saumuroises, huguenotes déjà vouées à l’enfer, ne pourraient être davantage compromises !

Si l’on en croit la chronique, les relations entre les carabiniers et la population saumuroise prirent rapidement un tour chaleureux : « il n’y eut que les vieilles et les laides pour crier au scandale ! » Mais les fêtes n’empêchaient pas les carabiniers de travailler. Très vite, grâce à la réputation de sérieux de son instruction équestre, le régiment de carabiniers devint l’École des carabiniers.

Dès 1771 donc, était née une école qui constituait le centre d’instruction unique pour la France des cavaliers militaires.

À la Révolution, l’école, privée de crédits, doit fermer ses portes.

Curieusement, la période suivante, qui vit naître en France tant d’institutions durables, n’eut pas de doctrine claire, affirmée et pratiquée pour la formation des cavaliers de l’Empire. Même l’École spéciale militaire de cavalerie, créée par l’Empereur à Saint-Germain en 1809, connut des conditions précaires et ne forma en cinq ans que trois cents officiers. Il est vrai que l’importante cavalerie impériale trouvait sur les champs de bataille de nombreuses occasions de s’instruire. Elle y subit en tout cas des pertes qui dépassaient de loin celles de toutes les autres armes.

En 1815, les portes closes en 1791 ne font que s’entrouvrir à Saumur. Elles vont s’ouvrir définitivement cette fois, en 1825.

Elle n’interrompra plus ses cours, si ce n’est pendant les trois grandes guerres.

Seul son état-civil changera :

23 décembre 1814 : École d’instruction des troupes à cheval,

11 novembre 1824 : École royale de cavalerie,

2 novembre 1852 : École impériale de cavalerie,

12 février 1871 : École d’application de cavalerie, 9 août 1928 : École militaire et d’application de la cavalerie et du train, 1er octobre 1940 : École militaire de la cavalerie, du train et de la garde (Saumur étant en zone occupée après l’armistice de juin, l’école est transférée à Tarbes),

1er janvier 1945 : retour à Saumur du centre d’instruction de l’arme blindée n° 1 en provenance du Maroc,

1er octobre 1945 : le CIABC n° 1 devient l’École d’application de l’arme blindée et de la cavalerie.

Missions et structures, l’évolution de 1825 à 1914.

 

Tout au long de cette période, presque un siècle, les missions données à l’école marquent une remarquable constance dans les préoccupations du commandement !

Succinctement, en 1825 :

  • former les instructeurs des troupes à cheval,
  • instruire, comme officiers de cavalerie, les élèves sortant de l’École spéciale militaire,
  • fournir aux régiments un nombre suffisant de sous-officiers capables de concourir à l’instruction des « hommes de recrue ».

Après 1870 et jusqu’en 1914, cette mission fut complétée de façon originale. L’école est spécialement instituée en vue de compléter et de perfectionner l’instruction des lieutenants de cavalerie, désignés pour en suivre les cours. Elle demeure en outre chargée de :

poursuivre l’instruction des élèves de la section de cavalerie de l’École spéciale militaire,

donner à un certain nombre de sous-officiers, aspirant à l’épaulette, la somme de connaissances que tout officier de cavalerie doit posséder,

former des instructeurs appelés à reporter dans leurs régiments les méthodes d’instruction reconnues les meilleures,

former un certain nombre de sous-officiers capables et bons instructeurs.

L’école et les deux guerres mondiales

 

La guerre de 1914 marque la fin d’une époque : le feu chasse le cheval du champ de bataille, mais le cheval aura aidé à former des générations d’officiers à l’audace réfléchie, à la psychologie attentive, au souci constant de la monture, hier vivante, aujourd’hui de métal.

En 1928, l’École d’application de la cavalerie devient l’École militaire et d’application de la cavalerie et du train. C’est aussi à ce moment-là, que commencent à l’école les cours d’élèves-officiers de réserve. Ce sont les EOR des deux armes qui, formés ensemble, se battront sur la Loire en juin 1940 (l’épisode fameux des cadets de Saumur).

En Algérie, de 1942 à 1943, naît l’arme blindée. La France libérée voit renaître l’École de cavalerie à Saumur. Le 1er octobre 1945, le centre prend l’appellation définitive d’École de l’arme blindée cavalerie.

Jusqu’à aujourd’hui

 

La transformation de l’arme, et de son outil de combat, avait bien failli enlever l’école à Saumur car les chars sont exigeants en espaces de manœuvre, en gabarits de champ de tir et les blindés, qu’ils soient chenillés ou à roues, sont de moins en moins compatibles, sur les routes, avec un trafic automobile devenu dense.

Il fallut :

trouver des champs de tir : Quiberon et ses tirs en mer, Mailly d’abord, au centre de tir des engins blindés puis Canjuers, au centre de perfectionnement des cadres et d’instruction du tir,

trouver des camps à la mesure des unités blindées (séjours à Mailly, Mourmelon, Sissonne ou Münsingen), avec mise à disposition de l’école de troupes de manœuvre provenant des régiments des forces,

mettre le petit camp de Fontevraud, voisin de Saumur, à des dimensions suffisantes pour y permettre l’exécution d’exercices élémentaires. Le recours à l’instruction par simulation fut une conséquence de l’exiguïté des terrains laissés à l’école pour sa manœuvre en Saumurois.

L’école avait également le souci de conduire une instruction dynamique et ouverte vers l’extérieur : raid en jeeps ou en motos, pilotage sur avion léger, équitation pour permettre aux élèves de pouvoir confronter leur volonté à celle de leur monture… merveilleuse école de caractère et d’humilité !

« Nous nous sommes surtout attachés, écrivait un directeur général de l’instruction de l’époque,à ne pas en faire des officiers satisfaits, installés dans une tranquillité de fonctionnaires. »

C’est de cette manière que l’école prépara pour l’Indochine puis, pour l’Algérie, les commandants d’escadron, les chefs de peloton et les sous-officiers de l’arme.

Ce fut dès 1960 également, que l’arme porta une grande attention à l’hélicoptère. Très tôt, l’école intégra la troisième dimension dans ses exercices de reconnaissance et de combat anti-char.

Parallèlement, elle prenait le « virage nucléaire » et s’ingéniait à former les stagiaires aux comportements nouveaux qu’exigeaient d’eux la préparation et (ou) l’exploitation du feu nucléaire tactique.

Ainsi, jusqu’à nos jours, la formation à l’école évolua de la guérilla à l’atome, intégrant les outils modernes, assouplissant les esprits aux concepts nouveaux, mais s’appliquant toujours à ce que les cadres fournis aux régiments soient des adeptes fervents de la devise : « attaquer sans compter, poursuivre sans repos ! ».

Et demain !

 

L’arme blindée cavalerie restera-t-elle, comme disait le règlement de 1924, celle qui « renseigne, couvre et combat en liaison avec les autres armes ? » Quels seront les matériels dont elle sera dotée ? Nul ne le sait.

Elle restera en tout cas l’arme de mêlée rapide et, surtout l’arme des crises et de l’imprévu. Les guerres que ses cadres auront à faire seront de moins en moins celles qu’ils auront apprises. Ils n’auront plus un outil de combat unique, mais tout un arsenal très diversifié dans lequel la technologie la plus sophistiquée voisinera avec des procédés simples relevant de la technique du braconnier… qu’ils devront tous maîtriser.

Ils devront, enfin, savoir commander à des hommes exigeants, au psychisme souvent fragile, ceux que secrète la société moderne. Ils devront rester généreux et ardents, capables de rééditer les exploits des cadets de Saumur et de la 2e DB de la Libération.

Et, dans les temps qui viennent, cette formation devra s’acquérir au moindre coût, peut-être en moins de temps qu’aujourd’hui.

L’école entend tenir cette gageure. Les moyens dont elle dispose vont sans doute, dans les prochaines années, se réduire, en particulier la durée des stages et les crédits consentis. Il faudra en conséquence bâtir une autre instruction afin de ne conserver que l’essentiel.

Apprendre à commander dans le style de l’arme rapide, restera l’objectif prioritaire :

  •  voir le terrain loin et de plus haut
  • respecter le caractère sacré de la mission,
  •  toujours réagir vite,
  •  entraîner les hommes à être eux-mêmes obsédés de vitesse, d’agilité et de flexibilité, capables pour cela de manier avec aisance tous les types d’unité, tous les équipements, toutes les armes disponibles.

En dehors de cela, l’essentiel sera sans doute l’acquisition d’une culture :

  • culture militaire d’abord, par l’apprentissage des règles éternelles de la guerre,
  • ‘est bien de tout cela que témoigne le carrousel, festival de fin d’année scolaire, œuvre de l’école toute entière, au cours duquel les lieutenants se montrent « toutes capacités réunies ». Dans la réalisation de ce que beaucoup de spectateurs croient n’être qu’un spectacle, ils maîtrisent motos, chevaux, parachutes, blindés les plus récents. Ils montrent ainsi, non seulement leur agilité, leur cran et leur audace, mais aussi leur adaptabilité à travers leur aisance à manier aussi bien les montures d’aujourd’hui que celles d’hier.

Encore ne peut-on les montrer dans leur entraînement lors des vols en hélicoptère à grande vitesse et à très basse altitude, ni faire défiler devant les spectateurs les ordinateurs sur lesquels s’entraînent les stagiaires pendant l’année.

C’est bien dans le tableau final où se retrouvent côte à côte, en l’air et au sol, anciens et modernes, montures de tous les temps et hommes de tous les uniformes, que se recrée, in fine, l’esprit d’une arme dont le culte est celui de la vitesse, quel qu’en soit le moyen, et de la flexibilité. L’ambition de l’école est de persévérer. Aussi ne veut-elle pas former que des « bons élèves » asservis à des règles tactiques immuables et tatillonnes, mais tout au contraire des hommes agiles et forts qui seront capables de s’adapter : hommes de technique, bien sûr, mais surtout férus de valeurs éternelles.

Jean-Philippe Arrault

L‘École d’application de l’artillerie à Châlons-sur-Marne

Une artillerie « de campagne » à la veille d’une révolution.

Pour un type donné d’obus, celles-ci indiquaient, pour chaque charge propulsive, l’angle de tir en fonction de la distance de l’objectif. Ces données sont aujourd’hui calculées par l’ordinateur d’un PC-feux et transmises automatiquement aux « pièces » qu’il pourra sans doute à terme orienter directement..Notre promotion suivit sa formation d’arme à Châlons-sur-Marne et fut l’une des toutes dernières à connaître une technique de tir plus que séculaire, utilisant, pour la détermination de la direction et de la hauteur des « tubes », le rapporteur (amélioré) et des tables de tir.

Voilà la révolution technique qu’ont vécue les jeunes officiers de la Cinquantenaire de Verdun au cours des années 1970.

De même, sur le terrain, nous procédions, comme sous l’Empire, à la mise en place par réglage aux jumelles, à des « tirs d’efficacité » aujourd’hui délivrés massivement d’emblée.

L’ordinateur intégrant tous les paramètres des tirs (obus, charges, corrections diverses pour tenir compte de la pression et de la température de l’air, de l’usure des tubes…), c’est parfaitement efficace si les positions des unités de tir et des objectifs sont aussi parfaitement déterminées, ce que permettent les matériels actuels de topographie et d’acquisition.

Une formation technique de huit mois.
La formation, à l’époque, comportait principalement trois grands domaines : le tir d’artillerie, le service en campagne, la topographie. Celle-ci était essentielle, car nos véhicules n’étaient pas équipés du GPS qui nous aurait donné à tout moment la position de nos canons.

Nous ne disposions que de gyroscopes et de télémètres, ainsi que de tables de calcul.

Nous pouvions, dès lors, déterminer nos emplacements de tir par rattachement à un point connu (nous avions des carnets de points correspondant aux diverses cartes), relèvements sur plusieurs points, ou même sur astres.

Pour les exercices pratiques, nous disposions d’un « polygone topo » ; l’accent était mis sur la précision mais aussi sur la rapidité d’exécution, deux notions antagonistes par lesquelles nous comprenions la nécessité, dans nos futurs régiments, d’une parfaite organisation de nos équipes « topo ».

Le domaine majeur était celui du service en campagne, c’est-à-dire celui de la manœuvre des unités de tir (le soutien n’était pas étudié). Il comportait une partie théorique, compilant tout le savoir accumulé par nos anciens lors des campagnes, notamment d’Italie et de France, inscrit dans des règlements, et surtout nombre d’applications sur ces terrains crayeux et boueux de Champagne presque toujours balayés par la pluie et le vent : rien n’arrêtait nos instructeurs !

Elles constituaient un apprentissage actif et réaliste, chacun occupant tour à tour toutes les fonctions d’officier subalterne d’une batterie d’artillerie.

L’ambiance.
L’ambiance était excellente et en dehors des « sorties » en ville, où nous parvenions à nous amuser beaucoup en dépit du peu de distractions qu’offrait Châlons, nous nous retrouvions notamment dans la pratique des sports, remarquablement organisés et encadrés par l’école : escrime, natation, rugby et surtout équitation, vieille et noble tradition de notre arme, sous la direction d’un maître de l’art, le chef d’escadron Sylvestre. Un tiers environ de la promo « montait », voire pour les meilleurs, participaient aux courses dominicales châlonnaises, toujours encouragés par bon nombre de leurs camarades.Dans cette petite école, ouù se côtoyaient tous les cadres de l’arme, nous vivions quelque peu à l’écart, dans une zone non enclavée, « binômés » chacun avec un saint-cyrien de la Corse et Provence. Ce « brassage », indispensable à notre cohésion, était évidemment sympathique et enrichissant.

Au total, cette année et demie de formation fut dense. Elle a fait de nous les derniers héritiers d’une longue lignée d’artilleurs qui s’éteint avec la « révolution informatique » et dont l’épopée est racontée dans son « Histoire de l’Artillerie française » par le général de corps d’armée Coulloumme-Labarthe, notre commandant d’école à l’époque.

Guy Puyo

L’École d’application du génie à Angers

Souvenons-nous !
Vingt-deux d’entre nous et un peu plus de la Corse et Provence, pensant avoir un esprit de pionnier, allaient rejoindre Angers drapés du rouge et du noir, les couleurs de l’arme du génie. Nous ne savions que peu de choses de ce qui nous attendait mais la douceur légendaire qui envahit la ville et sa région, la possibilité dans le Génie de passer de l’arme dans le service et réciproquement, l’implantation attractive de ses unités sont autant de facteurs qui ont orienté notre choix, sans oublier le rôle des instructeurs du cours génie : les lieutenants Quesnot et Gourmen.Le 24 juillet 1966, la promotion se rassemblait une dernière fois pour les cérémonies du Triomphe. Ce dernier regroupement venait marquer la fin de trois années d’unité de vie ; un mois après, nous allions rejoindre nos écoles d’application.

L’apprentissage des sapeurs
Pour nous sapeurs, le nom Bailey et l’appellation Coteaux de Layon resteront étroitement liés. Les choses étant bien faites, nous avions à construire un pont Bailey au-dessus de la brèche de Beaulieu en plein milieu du vignoble.Des changements profonds s’opéraient, l’emploi du feu nucléaire faisait évoluer les missions vers plus de mobilité tactique impliquant des franchissements « dans la foulée ». Le matériel Gillois était en cours d’expérimentation et, dans cette période charnière (mais nous y serons toujours), le matériel en dotation se faisait plus léger, le M 4 se transformait en M 4 T6, l’assemblage des poutrelles, tant de fois répété, nous a laissé un souvenir bien pesant. Quant aux ponts fixes, le matériel Bailey, certes plus lourd, nous laisse un souvenir moins pénible.

La part des anges.
Ce pont reposait sur une pile de dix-sept mètres de haut, ce qui nous permettait de mieux apprécier la « part des anges », surtout après les repas pris dans les auberges du coin.Un très beau chantier qui nous formait en organisation et planification des tâches.

Notre formation consistait également à construire des ponts de charpente.

Le battage des pilots, constituant les fondations était un élément essentiel du travail de pontonnier.

On utilisait un matériel appelé « mouton », appareil destiné à enfoncer des pieux par percussion. Il était guidé par un dispositif appelé « sonnette ».

Moins ludiques cette fois, l’organisation du terrain, la topo, les routes, l’enfouissement nous rappelaient, s’il en était besoin, que nous appartenions à une arme technique. Pas de quoi pourtant avoir la grosse tête, la règle de trois suffisait largement pour affronter tous les cours.

Le professeur de route dont j’ai oublié le nom, nous rappelait très régulièrement que l’eau s’écoule toujours vers un point bas, ce qui nous rendait bien sûr hilares, mais j’avoue qu’au cours de divers chantiers, j’ai pensé que cette lapalissade impliquait beaucoup de savoir-faire.

Je ne voudrais pas terminer ces quelques lignes sans avoir une pensée pour nos amis Aubin, Raux et Thomas, aux personnalités si attachantes et Gueï (Côte-d’Ivoire) de la Corse et Provence qui nous ont quittés trop précocement.

René Vandelet

 

L’École d’application de l’infanterie à Saint-Maixent

Les fantassins et les marsouins (spécialité infanterie) de la Cinquantenaire de Verdun à l’École d’application de l’infanterie à Saint-Maixent-l’école.

L’EAI vit sa dernière année à Saint-Maixent.

Après avoir été créée à Auvours en 1946 pour donner aux officiers issus de l’ESMIA, la qualification spécifique à leur arme, elle s’installe en 1948 à Coëtquidan puis en 1951 à Saint-Maixent-l’École.

La promotion suivant la nôtre ira à Montpellier où l’EMI deviendra alors EAI et regroupera toutes les formations des cadres d’infanterie, du chef de groupe au chef de corps d’active ou de réserve.

Nous allons tourner une nouvelle page.

Il est à noter que tout au long de notre vie de soldat, nous aurons souvent à essuyer des plâtres ou à mettre la clef sous la porte.

Dans les traditions de l’EMIA, il a été créé après nous, « l’enterrement des tableaux de service ». Cette information apparaît dans la présentation de l’EMIA, faite par notre président. Dans le livre « Nos folies de Saint-Maixent », édité en 1895 par Lavauzelle, l’auteur Raymond d’Armor, ancien élève, décrit tous les travers de l’institution. Le tableau de service, individualisé par section ou brigade donnait le détail de la journée, de l’heure du réveil jusqu’à la fin de service avec notamment le descriptif des colles à passer. La lecture de ce livre est divertissante ! Il est amusant de constater que soixante-dix ans après, il y avait encore des survivances du système. Située au cœur du val de Sèvre, Saint-Maixent a été fondée au Ve siècle par le moine Agapit.

Ses anciennes rues médiévales, son abbaye dont l’origine remonte à Clovis et dont les bâtiments conventuels sont devenus la caserne Canclaux, constituent une partie de son patrimoine

C’est là que s’installe la division d’application (DA).

Elle comprend douze brigades d’une quinzaine d’officiers-élèves des promotions « Corse et Provence » de l’École spéciale militaire et de la « Cinquantenaire de Verdun ». Il faut mentionner la présence d’officiers de réserve candidats à l’intégration et de quelques stagiaires étrangers non issus de Coëtquidan.

L’école est commandée par le général de division Bernard Usureau.

La DA, aux ordres du lieutenant-colonel Sarrazin, comprend deux groupes de six brigades.

Le 12 septembre 1966, la porte monumentale de Canclaux est ouverte aux nouveaux arrivants. Il règne une joyeuse atmosphère de retrouvailles. Nous faisons plus ample connaissance de nos camarades saint-cyriens avec lesquels nous allons vivre cette année.

Nous apprenons, en ce jour de rentrée, la mort de Jean-Pierre Trambert survenue le 14 août dans un accident de circulation en Espagne. Cette nouvelle nous déconcerte. Il est le premier à nous quitter.

Que sera cette année ? Nous espérons, en entrant dans la dernière ligne droite de nos années d’école, que notre formation sera exclusivement axée sur notre métier de futur chef de section d’infanterie motorisée, mécanisée, éclairage, mortiers lourds…avec parachute ou skis. Nous aurons une année studieuse, voire laborieuse dans les murs de l’école qui se terminera en apothéose par le séjour au camp de Münsingen et le stage commando à Mont-Louis. Nous serons parfois déçus mais dans l’ensemble, l’instruction, concrète, nous satisfait.

Cette vie d’école peut se raconter à travers quelques anecdotes restées en mémoire.

En Poitou.

Pour certains exercices tactiques, les troupes de manœuvre sont fournies par le 1er bataillonChaque brigade doit également préparer un mémoire collectif sur un sujet militaire. La 7e brigade a tiré « la résistance yougoslave ». Heureusement qu’il y a toujours quelques besogneux dans tout groupe de travail. Merci François de Place (Corse et Provence).La « pompe » occupait une place raisonnable. Consacrée principalement aux cours de langues étrangères dispensés par des appelés du contingent et axés sur la préparation des brevets militaires de langue, elle s’agrémentait de disciplines de psycho-sociologie et d’économie politique. De la conférence du type « La volonté de l’individu et la vie de groupe » ou bien à la réflexion sur « Le progrès technique entraîne nécessairement le progrès économique et le progrès social. Dans quelle mesure et à quelles conditions cette opinion vous paraît-elle fondée ? », les « joyeusetés » sont nombreuses. Nous cogiterons trois heures sur ce dernier sujet le matin du 5 mai dans une abbaye qui n’est plus chauffée et où il fait un froid glacial.

Quelques autres instants fugitifs de cette vie de garnison.s 1er février : après avoir hésité, la « strasse » ordonne à toute la DA d’assister à la messe de requiem célébrée à l’abbatiale pour la mort du maréchal Juin.10 décembre : bal de la DA. L’école accueille le « tout Saint-Maixent » qui ne veut en rien manquer l’événement de l’année dans des salles méconnaissables et transformées en décors féériques (comme l’aquarium) entièrement fabriqués par les sous-lieutenants, soirée mémorable pour certains (j’y ai rencontré Annick).

7 février : raid-rallye nocturne de trente kilomètres sur route, par quatre itinéraires différents, autour de Saint-Maixent. Nous l’avons baptisé « la ronde des braseros ». De tout point du parcours, nous apercevons les lumières de la ville au creux du vallon et nous allons d’atelier en atelier, où nos voraces attendent au pied d’un brasero, pour nous poser des questions saugrenues du type rallye des réserves. Il fait un froid mordant.

Mars : c’est le temps des visites. EAABC à Saumur, EAT à Tours, EAG à Angers ; nous étions heureux de retrouver les « p’tits cos » qui étaient dans ces écoles. Nous sommes allés également visiter la base école de l’aviation de chasse à Tours et un peu plus tard le centre de sélection de Limoges.

Une autre visite, touristique celle-là, a conduit toute la DA à Cognac. Deux souvenirs en émergent.

Au premier arrêt sur la hauteur surplombant la ville, notre guide nous fait remarquer la coloration noire de certaines toitures de tuiles et nous explique que ces bâtisses sont toutes des chais ou d’anciens chais. C’est la conséquence des vapeurs éthyliques, ajoute-t-il, et tout le monde comprend alors pourquoi le fond du képi des marsouins est noir…

Puis à la distillerie Martel où après une visite intéressante, il nous est servi un généreux apéritif avec le cognac maison, sans parler du flasque de Médaillon offert à chaque visiteur.

À une vingtaine de kilomètres à l’est de Saint-Maixent, le petit terrain militaire d’Avon voit nos premiers exploits de fantassins mécanisés et certaines vocations sont peut-être nées là. A moins qu’a contrario, certains aient préféré y retenir les notions de CRAC (combat rapproché antichar).

Aujourd’hui, on y étudie le peuplement des lépidoptères diurnes (sic).

Une affaire qui fit grand bruit pendant et après. Certains, en mal de sorties guerrières nocturnes, se sont cru autorisés à attaquer le dépôt de munitions de La Mothe Saint Héray, l’un des objectifs désignés de la célèbre « manœuvre évasion » des grandes écoles militaires. Cela n’a pas été du goût du commandement. La promotion, au garde à vous, a subi les foudres du général Usureau qui nous a menacé d’une consigne collective si les coupables ne se dénonçaient pas. Finalement et malgré la résistance à peu près générale, les auteurs ont reconnu leur forfait et l’honneur fut sauf… pour le commandement.

Le rallye automobile, excellent divertissement d’un dimanche, a été organisé par des orfèvres en la matière.

Toute la division d’application est de la fête. Le tour de stade chronométré en trottinette et la pénalité, infligée à ceux qui ne s’arrêtent pas pour dépanner la belle infortunée ayant crevé alors que le parcours est réglementé en temps, sont restés dans les mémoires.

Pour en terminer avec les souvenirs liés à la garnison, il faut mentionner le respect de la tradition qui valut, une nouvelle fois, au colonel Denfert-Rochereau, illustre enfant de la cité, glorifié en statue, d’être peint en rose.

Bien sûr, il fallut réparer l’outrage avec de l’huile de coude et quelques brosses.

Le camp de Münsingen (du 6 au 26 mai) Bien installés dans des wagons de 1re classe (cela nous changeait de l’année précédente), nous quittons Saint-Maixent le samedi 6 mai à 17 h 10. Les paysages défilent… lentement.

21 h à Orléans, minuit au sud de Paris, 4 h à Strasbourg. Le trajet allemand est encore plus lent : cent cinquante kilomètres séparent la frontière de Münsingen, mais aussi, dix heures de train ! Nous débarquons enfin à 14 h.

Ce camp de manœuvre, apprécié des unités mécanisées, se situe dans le Jura Schwaben (ousouabe in Fransösich) à huit cents mètres d’altitude.

Scénario classique d’une journée (tableau de services) : lever à 5 h 30, voire quelquefois plus tôt, exercice de combat systématiquement avec troupe jusqu’à 12 ou 13 h et l’après-midi enseignements puis préparation de l’exercice du lendemain. De mémoire, chaque stagiaire a au moins planché une fois en tant que chef de section moto, méca ou héliportée.

Le 9 mai, nous avons les honneurs de la visite jumelée des généraux de corps d’armée Massu (commandant le 2e CA et les FFA) et Crapelet (inspecteur de l’infanterie). Il n’y a pas eu d’esclandre.

Le temps a été très beau dans l’ensemble et même chaud pour atteindre les 30° à plusieurs reprises. Sur les pistes à chars, c’est « ambiance poussière ». Le camp bâti offre un confort spartiate, il faut avoir le courage de traverser tout le camp (six cents mètres) pour aller prendre une douche. Nous avons quand même survécu. D’autant plus qu’il nous a été royalement accordé une journée de permission à mi-séjour. Beaucoup en ont profité pour aller jusqu’à Constance et découvrir le Bodensee. Le voyage retour est à l’image de l’aller, à la différence notoire, que les caisses de munitions contenant des munitions au départ de Saint-Maixent recèlent maintenant des appareils en tout genre et aussi de magnifiques escargots qui feront les délices de quelques repas de brigades dans les gasthaus saint-maixentais.

Juste avant de partir à Mont-Louis, nous sommes préoccupés par « la guerre des six jours » du 5 au 10 juin. C’est la troisième guerre entre Israël et ses voisins. Elle se solde par une écrasante victoire de Tsahal et entraîne une profonde modification des frontières avec l’occupation de Jérusalem-est, de la Cisjordanie, de Gaza, du Golan et du Sinaï. Les officiers français se réjouissaient trop bruyamment au gré de nos camarades Arabes et Libanais, venus directement en appli.

s Le séjour à Mont-Louis (du 18 juin au 7 juillet) soit trois semaines très physiques :

une à Mont-Louis, une à Collioure et une en raid, quelque part dans le djebel catalan. Les pistes du risque sont relativement aériennes et certains obstacles sont même un tantinet sadiques.

À Collioure, il fait un temps estival. Les touristes, déjà nombreux, se promènent le long du bord de mer et assistent au curieux spectacle d’hommes-singes jouant les funambules sur des filins dont l’un se termine en mer. Et c’est avec un grand bonheur que nous empruntons la roulette qui nous largue dans l’eau.

Nous suivons des cours qui passent rapidement de la théorie à la pratique. Les cours d’explosifs ont lieu dans des salles particulièrement exiguës. Nous sommes tellement les uns contre les autres que nous devons sertir les détonateurs sur la mèche lente (bras tendus bien devant soi parce qu’il valait mieux regarder ce que l’on faisait) à hauteur de la nuque de celui qui est placé devant.

Nous ne prenons pas de précaution particulière, tout le monde est persuadé de manipuler des détonateurs inertes. Quelle ne fut pas notre surprise en procédant à la mise à feu de notre système d’allumage dans les douves voisines, quand les détonateurs explosèrent !

Il y a aussi les quelques cours de secourisme écoutés d’une oreille distraite. Ainsi en allait-il, jusqu’au moment où, après avoir expliqué comment faire une piqûre, le médecin instructeur nous demande de passer à l’application, deux par deux, avec d’authentiques seringues ! L’intérêt de la séance d’instruction nous est brusquement révélé… aussi au prétexte de ne pas avoir vu la démonstration, avons-nous sollicité des explications complémentaires.

La montagne enneigée sous le soleil est un spectacle de tous les instants. Le Canigou (presque trois mille mètres) à proximité de la citadelle offre un bon terrain d’exercice au centre national d’entraînement commando. Nous l’avons parcouru avec plaisir, même si l’épreuve fut réelle.

Le raid traditionnel de fin de stage constitue la synthèse de tous les apprentissages : escalade, franchissement d’obstacle, destruction à l’explosif, survie… et même une évacuation réelle. Celle de notre camarade Tanguy Rousseau-Dumarcet (Corse et Provence) pris d’un malaise avec insuffisance respiratoire grave, dès la première montée. Nous sommes en fin de soirée sur un versant abrupt et boisé. Il faudra le brancarder toute la nuit jusqu’à la première DZ possible.

S’il fait presque chaud en milieu de journée, la nuit est très froide. Résultat, le transport de ce brave Tanguy, même s’il n’est pas très épais, nous laisse tous en nage et le souffle court car le terrain est rude et pentu. Si on s’arrête, on est transpercé par le vent glacial. Il a fallu trois équipes pour venir à bout de l’épreuve. C’est un enseignement. Le raid s’achève bien. Nous sommes brevetés.

Nous reprenons le train spécial vers Canclaux et le voyage n’est émaillé que par la mésaventure de trois imprudents : Gérard Declercq, Jean-René Roué et « Coco » Bernard (Corse et Provence). Alors que le train est sur une voie de garage à Bordeaux, semble-t-il pour un moment, ils vont dîner dans un restaurant. A leur retour, plus de train. Ils ont dû faire du train stop puis de l’auto stop pour rentrer. La camaraderie aidant, cette aventure ne s’est pas ébruitée.

La fin de l’année est toute proche. L’heure de vérité sonne à l’amphi corps. Il circulait déjà un classement provisoire et la liste des places offertes était connue. Chacun a donc une idée de sa première affectation mais tout peut se modifier au dernier moment. Ce ne fut pas le cas.

Les adieux ne sont pas déchirants. Trois, voire quatre années d’école se terminent et nous sommes heureux d’aller nous confronter aux réalités du corps de troupe.

Nous aurions aimé recevoir ce dernier conseil, conclusion de la « lettre aux chefs de section » qu’adressait le général de corps d’armée Jean-Paul Etcheverry quelques années plus tard :

 « Maintenir strictement la discipline, tout en tissant des liens amicaux et confiants avec les hommes du rang, est donc désormais la règle qui doit vous guider c’est-à-dire, en bref, le nouvel art du commandement. Commander des soldats est un honneur qui vous est délégué par le pays. Vous en êtes dépositaire et incarnez l’image qu’ils conserveront de l’armée. Pensez-y ! Entre un autoritarisme qui n’est plus de mise et la tentation de la démagogie n’existe qu’une porte étroite que vous devez tous emprunter. Elle nécessite de votre part beaucoup de discernement mais c’est la seule voie possible. Je compte sur votre esprit de discipline et sur votre raison, mais plus encore sur votre générosité ».

Claude Gradit

L’Ecole d’application du train à Tours

Après leur avoir fait subir un rude entraînement, Coëtquidan livrait aux écoles d’application des officiers-élèves riches de ressources intellectuelles, ingénieux, hardis, épris d’aventure, résistants à la fatigue, obstinés, aux visages hâlés, pénétrés du plus ardent sens du devoir. L’année d’application, en comparaison, parut légère. L’instruction militaire sortait du « pur et dur », revêtait un aspect plus spécialisé et il fallait, pour les jeunes sous-lieutenants de l’arme du Train, acquérir une formation de spécialistes dans le transport et la circulation.

Premiers tours de roue.L’osmose et la cohésion se réalisèrent malgré tout assez rapidement.Organisés en deux brigades sous les ordres des lieutenants Cousin et Quérolles, les jeunes officiers firent la connaissance de ceux qui venaient de la troupe et les rejoignaient, aux niveaux de formation et de connaissances très hétérogènes.

La pression physique moindre rendait les exercices plus supportables. Finies les nuits blanches et les marches interminables.

Deux groupes apparurent : les célibataires résidant à l’école et les mariés, externes. Il était possible de vivre en famille, de rentrer tard le soir…Encadrés par nos anciens, OAEA et ORSA, notre culture train se développa progressivement, facilitée par le fait que sur le plan de la camaraderie les liens se révélèrent un peu plus serrés et parfois meilleurs qu’à Coëtquidan. Sans doute en raison de la disparition d’une tension quasi constante lors de l’année précédente. Etant alors devenus des officiers plus que des élèves, les participants appréciaient la chaleur humaine sous-tendant les relations au sein des brigades.

Des tours et des détours.

 

Le « Grand Raid » fut l’événement marquant du premier trimestre.

Il nous initia àla conduite de tous les véhicules en dotation dans les régiments : motos, jeeps, 4×4 Renault, Marmon, Simca, Berliet GBC 8KT.

ous traversâmes bien des départements du nord de la France ainsi que les Vosges et le Jura en alternant tous les types de conduite possibles, chacun, au fil des étapes, changeant de véhicule.

Lors de l’une des visites agrémentant le long parcours, nous descendîmes dans la mine de charbon de Bruay, affublés pour la visite de la combinaison et des gants des mineurs pour en ressortir sous l’effet de la poussière et de la sueur, totalement noirs.

Il ne faut pas oublier de rappeler les débuts empreints d’aléas en grandeur réelle : certains visitèrent les cours de ferme lors des écoles d’escouade, obligés d’effectuer des demi-tours hasardeux fort éloignés des belles manœuvres expliquées par nos instructeurs.

Que de « balades » à moto ou en command-car hors des circuits prévus !

C’était assez souvent l’aventure et la liberté pour de jeunes officiers « tringlots » s’initiant aux subtilités insoupçonnées de la carte Michelin sous le regard compréhensif d’une hiérarchie et d’un encadrement peu pesants.

Pineau se souvient pour sa part, des cours de dépannage au cours desquels, pour ceux qui demeuraient imperméables à la mécanique auto (le sens du raisonnement cartésien étant inégalement réparti), il fallait deviner les pannes plutôt que de les résoudre par la connaissance.

Attias se remémore les difficultés à réaliser un « huit » en moto, le réussissant lors du dernier entraînement mais échouant lors de l’examen. Comme il fallait que tous eussent le permis moto, bon déroulement de l’année oblige, il eut l’agréable surprise, en fin d’année, d’apprendre « sa réussite ».

Etre devant !

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Ȇtre devant !

Circuler en jeep à pleine vitesse, pare-brise baissé, par un froid de canard, y compris parler, demande un effort et ne s’oublie pas non plus.

Il y eut aussi le chargement des véhicules sur des wagons plates-formes au cours de ce dernier trimestre que la chaleur précoce rendit particulièrement éprouvant.

En matière de sport, seul le cross de l’école, couru au printemps, peut avoir laissé un souvenir dans la mémoire de certains… moins cependant que les reprises d’équitation prenant une place marquante dans la formation traditionnelle des jeunes officiers de cette époque. Les chevaux nous rappelèrent que l’autorité et la compétence ne vont pas toujours de pair ; certains caractères se trempèrent néanmoins en se confrontant à des montures parfois teigneuses ou au comportement inattendu, tel Nicham, un barbe revenu d’Algérie ou Verbrouk un selle français bai-brun dont personne ne voulait.

Pour conclure, il reste réellement de cette année d’application une somme de bons souvenirs, et en définitive, le sentiment d’être engagés alors dans une voie de spécialistes en acquérant de nouvelles connaissances, la prise de conscience d’être devenus des officiers à part entière avec les responsabilités leur incombant et ce, au cours de mois caractérisés par une grande liberté et une détente relative.

Certes, il s’est agi au dernier moment de choisir notre spécialité et notre garnison mais sans en avoir toutefois été obnubilés. Nous nous étions enrichis d’un nouveau savoir ; c’était à la fois simple et subtil.

Éveillés et intéressés par de bons instructeurs, capables de mettre nos nouvelles compétences au service de nos futures fonctions, nous prenions connaissance du rôle quotidien qui allait nous être confié au sein de nos régiments respectifs. Nous entrions pour de bon « dans la carrière » où certains, ayant connu l’Indochine et l’Algérie nous attendaient, un sourire au coin des lèvres.

Philippe Breton

 

L’École d’application des Transmissions à Montargis

Située à Montargis, surnommée « la Venise du Gâtinais », l’École d’application des transmissions, créée en 1944, occupe le quartier Gudin.

L’arme des Transmissions a vu le jour en 1942.

Elle est issue des personnels de l’arme du Génie spécialisés « transmissions » appelés alors «sapeurs télégraphistes».

Compte tenu de l’exiguïté du quartier Gudin, une école annexe est créée à Agen car l’arme des Transmissions est chargée d’assurer la formation et la qualification spécifique de ses propres personnels officiers, sous-officiers et engagés, mais aussi des personnels officiers et sous-officiers des autres armes dits « à spécialité transmissions ».

 

L’arrivée

C’est donc à Montargis qu’un matin de septembre 1966, se retrouvent tous les sous-lieutenants transmetteurs de la Cinquantenaire de Verdun, après une permission bien méritée, heureux dese revoir et de faire connaissance avec leurs camarades saint-cyriens de la Corse et Provence. Nous découvrons aussi quelques officiers de réserve ayant réussi le concours d’intégration et des officiers étrangers envoyés par leurs pays pour suivre la même formation que nous.

 

Après l’accueil par le chef de bataillon de Lambilly commandant la DA et les incontournables formalités administratives, nous sommes répartis en trois brigades. Et pour marquer l’avènement de ce nouveau « cru » nous posons pour la postérité sur les marches qui mènent à ce qui va être notre fief durant un an.

Malgré les années chacun peut retrouver sur ces photos les « petits cos » et les têtes, peut-être un peu perdues de vue.

Puis nous prenons la direction de l’amphi Ferrié, qui nous rassemblera très souvent par la suite, même trop, où nous rejoint le général Nizard, commandant l’école, pour nous souhaiter la bienvenue. En cours d’année, nous aurons souvent l’occasion les uns ou les autres de le rencontrer et de discuter de façon informelle dans la cour du quartier, entre deux cours, ce qui se traduira le plus souvent par du retard au cours suivant et des remarques peu amènes de nos instructeurs… mais nous avions un alibi !

Puis le général laisse la parole au directeur de l’instruction, le lieutenant-colonel Marescaut du Tilleul qui, bien sûr, a un surnom facile à deviner. Accompagné et aidé par nos différents futurs instructeurs, le DI nous donne les grandes lignes de la formation que nous allons suivre, caractérisée, à notre grand regret, par une majorité de cours magistraux due à la multitude de matières techniques ou d’exercices en salle et un nombre, qui nous paraît trop faible, de sorties sur le terrain.

 

La formation

 

Après la formation initiale fortement marquée par le combat de l’infanterie à Strasbourg puis à Coët, nous allions être «relookés» en chefs de section transmissions. Mais ce vocable cache en fait une multitude d’emplois différents, tant au plan des matériels mis en œuvre comme « chef de section radio » ou « chef de section fil », qu’à celui de l’emploi comme « chef de centre trans » ou « chef de section exploitation ».

De plus, cette section peut agir en élément isolé et autonome sur le terrain, comme la section de « câbles hertziens » (c’était encore l’appellation de ce qui sera renommé quelques années plus tard faisceaux hertziens). Elle peut être intégrée dans un état-major de grande unité, comme par exemple, la section « centre trans » d’un PC avant de division, donc agissant dans un contexte interarmes, voire interarmées, au contact quasi permanent avec les officiers d’état-major. Il en résulte un nombre important de postes très différents que chacun de nous pourra être susceptible de tenir dès la première affectation en corps de troupe, suivant les besoins locaux du moment.

Afin de nous préparer au mieux, nous voyons apparaître des emplois du temps dont la part prépondérante est dévolue à l’étude des différents matériels couvrant les domaines classiques de la téléphonie, de la télégraphie, de la radio mais aussi celui du « fil » avec les différents câbles et les mesures sur les lignes pour localiser les pannes, celui des câbles hertziens, celui, vaste et à la fois très fermé, de la sécurité des transmissions avec notamment le « chiffre » et la lutte contre les interceptions, ce que l’on appellera plus tard la guerre électronique, pour ne citer que les plus importants.

Le seul point commun à tous ces matériels différents, et le plus souvent non compatibles, est que leur mise en œuvre demeure avant tout manuelle et nécessite des préréglages souvent pointus mais toujours longs et fastidieux. Il faut bien reconnaître qu’une grande partie de ces matériels sont d’origine américaine et datent de la deuxième guerre mondiale, tout au moins pour leur conception souvent dépassée. Même parmi les matériels les plus modernes de fabrication française, comme les stations de faisceaux hertziens, le terme « automatique » est encore inconnu et n’apparaîtra réellement qu’avec l’arrivée du RITA (réseau intégré de transmission automatique) quinze ans plus tard, en 1982. Le transmetteur est souvent perçu comme un « bidouilleur » de premier plan, un « pro » du tournevis et du fer à souder ce qui, il faut bien le reconnaître, n’était pas tout à fait faux !

Pour mieux appréhender ce côté purement technique, nous suivons des cours de radioélectricité générale devant nous permettre de comprendre le fonctionnement des différents équipements. Mais le domaine d’étude le plus important reste celui de l’emploi des transmissions. Il couvre tout d’abord la connaissance de l’emploi des matériels en terme de capacité à satisfaire les besoins en communication caractérisés, en outre, par des impératifs d’urgence, de priorité,de confidentialité… Ensuite nous devons étudier les systèmes de transmissions à mettre en place pour satisfaire ces besoins. Ils sont dits « hiérarchiques », c’est à dire calqués sur l’organisation du commandement. Enfin, nous nous plongeons dans l’organisation et les missions d’un centre de transmissions desservant un PC de grande unité, en étudiant le fonctionnement et le rôle des différentes parties qui le composent, comme le bureau « message», la section «régulation », la section « exploitation » mais aussi les liens et rapports fonctionnels entre elles, la coordination générale des actions différentes mais complémentaires des alvéoles qui composent cette véritable ruche restant du ressort du chef de centre.

Pour vérifier que nous absorbons cette formation, au caractère sinon éclectique tout au moins varié et assez marqué, nous passons bon nombre de « colles ». Il faut bien faire un classement pour le choix des garnisons en fin d’année ! Et pour nous changer les idées, nous faisons aussi des langues, du sport et un peu de « méthode et expression », sans oublier quelques séances de maniement du sabre que seuls, nous de la Cinquantenaire de Verdun, maîtrisons parfaitement ! Nous sommes enfin sollicités pour participer aux services de l’école en assurant celui d’officier de permanence.

L’entraînement

Pour assurer cette partie essentielle de notre formation, l’école dispose d’une compagnie de transmissions cantonnée à Pannes, village situé à une dizaine de kilomètres. Cette compagnie qui a par ailleurs une mission opérationnelle, dispose de ses moyens organiques, tant en personnels que matériels, renforcés par quelques matériels spécifiques nécessaires pour la formation, mais l’ensemble est loin de satisfaire les besoins de l’école.

C’est pourquoi le nombre de sorties sur le terrain est limité au strict nécessaire et les matériels mis à notre disposition à ces rares occasions sont livrés « nus » de tout personnel. Ceci implique des pertes de temps dues aux prises en compte, ce qui n’est pas que négatif, car nous pourvoyons les équipes de mise en œuvre, y compris les conducteurs des véhicules et les « groupistes ». Mais l’expérience de la conduite manque souvent lorsqu’il s’agit de monter sur des points hauts, par des chemins à peine praticables, des camions chargés de « shelter » avec un groupe électrogène en remorque.

Aussi ces sorties sont-elles limitées aux mises en œuvre des stations « radio » et de « faisceaux hertziens » sur le site de Mormant, le seul terrain militaire dont dispose l’école. Quelques rares exercices de mise en réseau « en terrain libre » complètent ces sorties. L’école a donc développé un entraînement «indoor » en créant des salles spécialisées équipées de systèmes de simulation ou de matériels mis en réseaux comme par exemple une salle de «mesure sur ligne» ou une salle « exploitation télégraphique » avec téléimprimeurs en réseau. Des salles sont aménagées en centres de transmissions ce qui permet, avec une animation, de s’entraîner au fonctionnement des différentes cellules dans des conditions proches de la réalité.

Grâce à ces systèmes, l’école peut dispenser une formation, certes manquant un peu d’air et d’espace, mais de grande qualité, à l’ensemble des stagiaires officiers et sous-officiers.

 

En juin, nous participons avec une grande partie des autres stagiaires à l’exercice de synthèse à Mourmelon, en faisant appel aux moyens des unités de transmissions du corps de bataille. Cet exercice permet de déployer sur le terrain les moyens assurant les liaisons d’un corps d’armée. Cela commence par le déplacement en rames constituées. Dès cette phase, les surprises ne vont pas manquer au gré des déviations et des passages à hauteur limitée, notamment dans les agglomérations… Mais ce n’est qu’un avant-goût de ce que nous rencontrons durant l’exercice : liaisons ou matériels qui ne fonctionnent pas, enquêtes à mener pour déterminer pourquoi un message n’est pas parvenu dans les délais prévus, sans compter les différents incidents créés par la direction de l’exercice souvent superflus, tant les stagiaires semblent avoir un don inné pour s’auto-animer !

En dehors de ces activités de formation, la vie s’écoule à Montargis comme « un long fleuve tranquille »…

 

La vie à Montargis

 

Chaque soir après les cours, nous nous séparons. Les « mariés » sont classés en deux catégories : les anciens ayant convolé avant Coët et les nouveaux, impatients de rejoindre leur « sweethome » où ils retrouvent épouse et enfant(s). Quant aux célibataires, ils sont encore moins nombreux à traîner à l’école car il ne faut pas rater le bus qui les ramène à leur chambre du mess-hôtel des officiers de la Forêt, situé à l’autre bout de la ville. Ce trajet est effectué quatre fois par jour. De plus, peu ont un véhicule « perso » et rares sont ceux qui l’utilisent.

Auparavant, chaque officier de la DA assurait son propre transport par vélo militaire pris en compte individuellement auprès de l’école et soumis aux revues périodiques ! En 1965, ces vélos ont été retirés de la circulation et remplacés par un bus, ce qui mit fin aux frasques des officiers qui en étaient dotés. Ceux-ci n’hésitaient pas à perturber la circulation du centre ville, aux heures de pointe, en adoptant différentes formations : de la file indienne jusqu’à la « colonne par six » en chantant ou en actionnant sans retenue les sonnettes réglementaires de leurs vénérables engins. La suppression des vélos a entraîné la perte d’un grand degré de liberté. Le rédacteur de ce témoignage a eu « la chance » de pouvoir utiliser un de ces fameux engins sur présentation d’un certificat médical dûment signé par le toubib de l’EAT, mentionnant que son état nécessitait la mise à disposition d’un vélo à des fins de rééducation, à la suite de son accident de saut à Pau ; certains l’auront peut-être reconnu ! Ce vélo est vite devenu « le vélo de la DA non motorisée » pendant le temps de la rééducation.

 

C’est à partir du mess, proche de la forêt que se font les séances de sport. Situé à côté de la gare, le mess facilite grandement les départs de fin de semaine, le plus souvent sur Paris… Montargis est une petite ville de province tranquille où les loisirs sont un peu maigres. A part deux ou trois « boîtes », pas toujours ouvertes, et le cinéma, il n’y avait pas grand-chose à l’époque pour se distraire…

 

La fin d’année

Elle va être marquée tout d’abord par le voyage de la DA.

Prenant les choses en main, nous demandons à le faire dans le Midi. Le commandement accepte notre vœu à la condition expresse que cela ne soit pas uniquement un séjour d’agrément. Il nous demande de lui faire des propositions de visites « crédibles ». Et c’est ainsi que nous commençons notre voyage par Toulon où nous visitons, dans les arsenaux de la Marine, les ateliers de réparation des matériels électroniques, notamment les radars et les sonars.

Malheureusement la rade est vide de bâtiments qui sont tous à la mer, nous privant d’une visite. Nous nous consolons en allant visiter le centre de formation des plongeurs à Saint-Mandrier, puis nous poursuivons sur Antibes où nous sommes reçus à l’école de formation des moniteurs de sport. Là, nous profitons bien du cadre…Certains en repartent avec un souvenir cuisant ! Et nous terminons par Nice, où nous visitons le 28e régiment de transmissions. Enfin, nous montons au Mont Agel, dans l’arrière-pays niçois, où nous visitons le site de l’armée de l’air chargé de surveiller et de superviser le trafic aérien dans l’espace situé entre Italie et Espagne, tout en étant en mesure de faire intervenir très rapidement les chasseurs de la base d’Orange avec laquelle les liaisons sont permanentes. Après ce voyage très plaisant et très instructif, nous revenons à l’EAT pour l’ amphi corps.

Une fois le classement connu et les différentes affectations proposées, nous nous quittons avant de rejoindre, début août, notre première affectation avec un peu d’appréhension mais aussi une certaine impatience. Nous ne savions pas encore que nous allions avoir la chance de vivre et de participer au début de la grande révolution des télécommunications et de l’informatique du domaine militaire.

Denis Barbot

 

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